La valorisation des instruments … un enjeu crucial

La valorisation des instruments … un enjeu crucial

Même si de plus en plus la collecte, la préservation et la valorisation des instruments de musique traditionnels sont intégrées dans les politiques culturelles des pays africains, il n’est que rarement mis au cœur des projets visant à valoriser la culture africaine alors qu’elle est centrale. Nous avons échangé avec Michel Ndoh, expert culturel Camerounais qui depuis plus de 20 ans travaille sur cette question plus qu’importante.

Bonjour Michel, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je m’appelle Michel Ndoh Ndoh. Je suis de nationalité Camerounaise et panafricaniste de conviction. Je suis entrepreneur culturel depuis bientôt 25 ans.
J’ai entrepris un travail de recherche sur l’organologie des instruments de musique traditionnels d’Afrique depuis 2005. Je suis président de l’association Sandja qui œuvre pour la sauvegarde du patrimoine matériel et immatériel musical Africain.

Comment est née l’idée de collecter et d’exposer les instruments de musique traditionnels Africains ?

Lors de mes différents voyages en Europe occidentale et particulièrement en Belgique (musée de Tervuren) et en France (musée du Quai-Branly), j’ai découvert des collections de milliers d’objets et d’instruments de musique traditionnels d’Afrique et je me suis senti mal et révolté de voir que notre patrimoine était mis en valeur ailleurs et hors de notre continent, d’ailleurs le musée de Tervuren s’appelle « Le musée royal d’Afrique central » quel paradoxe ! Une fois revenu au Cameroun, j’ai proposé à notre ministre de la Culture de l’époque, un projet de collecte et de valorisation des instruments de musique de notre terroir. Ensuite, le président du Conseil Africain de la musique de passage au Cameroun s’est intéressé à ce travail et m’a suggéré de l’élargir sur l’Afrique. Un an plus tard, il m’a demandé de monter une exposition d’instruments de musique traditionnels physiques pour le premier Forum des musiques d’Afrique à Ségou en mai 2016.

Quelles difficultés rencontrez-vous le plus souvent dans le cadre de la collecte de ces instruments ?

Les difficultés varient en fonction des aires culturelles et des communautés. Certaines communautés sont très conservatrices et méfiantes. Elles se demandent toujours pour qui nous travaillons et se posent la question du pourquoi un intérêt aussi tardif ? D’autres sont plus ouvert mais vous font parfois tourner en rond. Mais il y a aussi des difficultés liées à la distance et à l’accès des voies de communication parfois quasiment inaccessible. Enfin, les moyens d’accompagnements institutionnels et les soutiens financiers sont quasiment inexistants.

Collecter, exposer ces instruments dans des Musées est-ce vraiment suffisant, pour les préserver de la disparition ?

Collecter, exposer ces instruments dans les musées est une étape très importante, mais cela ne suffit pas.
– Il faut également sensibiliser les populations à l’impératif de la connaissance de la préservation et de la valorisation en utilisant les médias comme véhicule de promotion.
– En créant par exemple des journées portes ouvertes avec un accès à tous les publics.
– Il faut éveiller les consciences et la curiosité des publics jeunes et moins jeunes qui sont les consommateurs de demain afin qu’ils puissent se sentir concernés par la valorisation du patrimoine de leur communauté, de leur pays, de leur continent.
– Il faut renforcer les programmes scolaires et universitaires aux enseignements consacrés à la diversité culturelle et à l’histoire de l’Afrique en utilisant les langues locales et les contes comme supports pédagogiques et naturellement en soutenant les maisons d’édition Africaines.
– Renforcer l’attractivité des festivals et des rencontres culturelles entre les populations d’Afrique.

Quels sont les enjeux liés à la collecte et à la préservation des instruments de musique traditionnels Africains ?

Les enjeux sont nombreux, mais nous n’en citerons que quelques-uns :
– Conserver et moderniser les savoir traditionnels et les rendre démocratiques auprès des populations.
– Donner de la valeur à nos instruments de musique ainsi qu’à ceux qui les jouent et les décomplexer à l’échelle planétaire et dans les enjeux de la compétitivité universelle.
– Garder le lien entre l’homme Africain et sa cosmogonie, parce que l’instrument de musique traditionnel est un vecteur spirituel par lequel transite l’ancestralité avec le cosmos.

De plus en plus d’initiatives de ce genre naissent un peu partout à travers le continent. Comment s’est faite votre collaboration avec Afrikayna ?

Oui beaucoup d’initiatives de ce genre naissent un peu partout, mais c’est la couture de ces projets qui est importante et aussi ceux qui les portent. Notre rencontre (Association Sandja et Afrikayna à Ségou en 2016 lors du premier forum des musiques d’Afrique nous a amené à penser à une réflexion, un travail commun sur l’Afrique.

Quelques mois après notre rencontre nous avons envisagé de mener un travail de collecte et de valorisation des instruments de musique traditionnels d’Afrique en commençant par trois pays notamment le Maroc, le Mali et le Cameroun, nous allons progressivement enrichir notre banque qui compte déjà plus de soixante pièces réparties par familles d’instruments et nous osons espérer que dans quelques années la collection va s’agrandir et notre idée d’une « instrumenthèque » (musée des instruments de musique traditionnels) verra le jour.

Music in Africa a organisé il y a plus d’un an un atelier sur la fabrication et la réparation des instruments de musique traditionnels en Afrique du sud. Quelles sont vos impressions sur ce genre d’activité ?

Je ne peux que me réjouir à l’idée de savoir que d’autres Africains porteurs de projet s’intéressent à la survie du patrimoine matériel et immatériel musical Africain. Dans le cadre de notre partenariat avec Afrikayna, nous avons monté un atelier de fabrication et de restauration à Essaouira au dernier festival des musiques du monde du Gnaoua festival. Ce que je suggère c’est que ces ateliers soient précédés de table-ronde ou de conférences avec autour une exposition didactique. Il faut renforcer l’attractivité des festivals, des marchés de musique africains et rencontres culturelles à travers des contenus comme ceux cités.

Selon vous, la jeune génération de musiciens africains porte-t-elle un intérêt pour les instruments de musique traditionnels africains ?

À mon humble avis très peu s’y intéressent et la plupart vivent dans le complexe des instruments de musique occidentaux. Cela est dû aussi à l’inadéquation de la politique culturelle inadaptée mise en place par les élites.

Que faudrait-il faire pour encourager les jeunes à s’intéresser plus aux instruments de musique traditionnels, voire la musique traditionnelle ?

Pour encourager les jeunes à s’intéresser plus aux instruments de musique traditionnels africains, il faut comme je l’ai énoncé plus haut mettre en place des politiques culturelles adaptées à l’instar des conservatoires et écoles de musique où on enseigne l’histoire de ces instruments et où on apprend également à les jouer. Mais il faut également encourager la créativité artistique patrimoniale et mettre les médias à contribution pour une diffusion et une promotion à grande échelle…

Un dernier mot ?

Je voudrais avant tout vous remercier pour cet échange qui me permet de parler d’un sujet qui nous interpelle tous africains du nord comme du sud du Sahara. La collecte, la conservation et la valorisation des instruments de musique traditionnels africains n’est pas un jeu mais un enjeu crucial. Elle est au carrefour du politique, de l’économique et du culturel, mais insuffisamment valorisée auprès de ses populations et à l’étranger. Un accompagnement plus efficace des services publics et de nos institutions en charge de cette mission et une forte impulsion politique de nos dirigeants au plus haut niveau permettrait des avancées considérables.

Source

Leave a Reply

Your email address will not be published.